Frais professionnels, avantages en nature : démêler les concepts pour éviter les redressements URSSAF

  • Majorelle Avocats
Cet article vise à clarifier les notions de frais professionnels et d’avantages en nature, à en expliquer les enjeux et à fournir des recommandations pratiques pour optimiser les pratiques sociales tout en évitant les risques de redressement URSSAF.

À première vue, les frais professionnels et les avantages en nature semblent impossibles à confondre en raison de leur nature juridique fondamentalement différente. Pourtant, cette distinction, évidente en théorie, s’avère bien plus complexe dans la réalité. Il est fréquent, en effet, de s’interroger sur la qualification professionnelle d’une dépense sans craindre une requalification en avantage en nature et sa réintégration dans l’assiette des cotisations sociales lors d’un contrôle URSSAF.

Les exemples abondent : frais liés au télétravail, frais de véhicule, remboursement de repas… Ces situations donnent souvent lieu à des débats, et la jurisprudence regorge de cas illustrant les tensions entre entreprises et URSSAF. Ce n’est pas un frais professionnel, argue l’URSSAF, si un sandwich a été acheté à proximité de l’entreprise, ou si l’employeur n’est pas capable de justifier de la part de l’utilisation professionnelle d’un forfait téléphone, ou encore si des frais de carburant, bien que justifiés par des reçus, ont été engagés un dimanche.

Ces cas reflètent une frontière parfois floue entre la dépense professionnelle légitime et l’avantage personnel, rendant essentielle une maîtrise précise des règles pour sécuriser ses pratiques. Dans un contexte marqué par l’inflation et des attentes croissantes des salariés en matière de pouvoir d’achat, les entreprises multiplient les dispositifs innovants pour fidéliser leurs collaborateurs, attirer de nouveaux talents, et améliorer les conditions
de travail. Pourtant, dans ce cadre, entre frais professionnels et avantage en nature, le régime social applicable étant différent, il est important d’être vigilant sur la bonne qualification.

Cet article a donc pour objectif d’apporter des clés de compréhension pratiques et juridiques pour maîtriser les concepts de frais professionnels et d’avantages en nature (I.). De souligner également que les justificatifs classiques ne suffisent parfois plus : une bonne préparation de l’argumentation dès la phase contradictoire du contrôle URSSAF étant alors essentielle pour sécuriser ces remboursements (II.).

Comprendre les fondamentaux : maîtrisez les définitions et les règles clés des frais professionnels et des avantages en nature

Une même dépense engagée par l’employeur peut tout aussi bien être qualifiée de frais professionnels exonérés de cotisations sociales, que d’avantage en nature soumis à charge. Ce qui la distinguera de l’une ou l’autre catégorie sera sa finalité et son traitement : l’exonération de cotisations n’est pas une faveur au bénéfice de l’employeur, mais bien une mesure répondant à une logique juridique et économique bien précise.


Il est utile de rappeler que l’employeur est tenu à plusieurs obligations envers son salarié, parmi lesquelles figurent la fourniture du travail convenu lors de la conclusion du contrat ainsi que des moyens nécessaires à son exécution. Cette mise à disposition constitue un principe fondamental du droit du travail et un critère jurisprudentiel majeur pour différencier un contrat de travail d’un contrat d’entreprise [1]. En effet, lorsqu’un salarié est contraint d’engager des dépenses dans le cadre de son activité, celles-ci doivent être prises en charge par l’employeur afin de ne pas constituer une charge indue pour lui.

Pourtant, ni la notion de frais professionnels ni les modalités de prise en charge ne sont légalement définies par le Code du travail, c’est une jurisprudence bien établie qui viendra apporter des précisions à ce sujet [2]. Au sens de la législation de Sécurité sociale, en revanche, les frais professionnels s’entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du travailleur salarié que celui-ci supporte au titre de l’accomplissement de ses missions [3].

Pourquoi alors cette précision uniquement en matière de Sécurité sociale ?

Parce qu’une charge professionnelle n’est pas assimilable à un complément de salaire, il fallait donc la définir pour l’exclure de l’assiette des cotisations [4]. Et cette exonération repose sur le strict respect des conditions de remboursement fixées par la réglementation et sur la capacité de l’employeur à justifier de la réalité et de la finalité des frais engagés : en l’absence de l’un ou de l’autre, l’URSSAF pourra procéder à la réintégration de la dépense dans l’assiette des cotisations sociales [5].

Pour aider l’entreprise, l’arrêté du 20 décembre 2002 [6] a imaginé deux principales modalités de remboursement des frais professionnels : celui au réel et l’autre forfaitaire [7]. Le remboursement au réel consiste pour l’employeur à indemniser le salarié sur la base des dépenses effectivement engagées dans le cadre de son activité professionnelle. Cette modalité nécessite la fourniture de justificatifs détaillés pour chaque dépense. Si la charge de la preuve incombe à l’entreprise, l’appréciation des juges du fond reste toutefois souveraine et déterminante en cas de litige avec l’URSSAF. À ce titre, les tribunaux exigent depuis longtemps et de manière constante, que trois conditions cumulatives soient réunies pour qu’une somme versée à un salarié soit considérée comme professionnelle [8] :

  • une dépense supplémentaire engagée dans le cadre du travail ;
  • une dépense spéciale, inhérente à l’exercice de l’emploi ;
  • une dépense effective, qui doit être réelle et justifiable.

Les frais professionnels doivent-ils être exceptionnels ou inhabituels pour être reconnus comme tels ?

En réalité, dès lors que l’entreprise peut attester de la nature professionnelle de la dépense, alors elle est en droit de la retirer de l’assiette des cotisations. Il y a eu beaucoup de débats à ce propos : il a notamment été considéré qu’une prime de salissure était un complément de salaire dès lors que celle-ci était distribuée à des ouvriers de manière régulière [9].

Avant de considérer que la prime allouée aux salariés pour le nettoyage de leurs vêtements professionnels constituait une charge spéciale inhérente à leur emploi et ne devait pas être incluse dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale [10].

Finalement, les frais professionnels n’ont pas besoin d’être exceptionnels ou inhabituels pour être reconnus comme tels et remboursés par l’employeur, mais cette confusion provient souvent (sans doute) d’une méconnaissance de la distinction entre frais professionnels et frais d’entreprise, qui eux doivent présenter un caractère exceptionnel. Reste à préciser ce que l’on entend par une dépense effective, réelle et justifiable.


Lors d’un remboursement au réel, il est assez aisé de respecter ce critère : un achat professionnel a été effectué et l’entreprise rembourse sur justificatif ladite dépense.

Mais face à un remboursement forfaitaire, la justification peut-elle/doit-elle être la même ?

Pour rappel, le remboursement forfaitaire implique le versement d’une allocation prédéterminée, censée couvrir les dépenses professionnelles sans nécessiter la présentation de justificatifs individuels. Alors, afin de sécuriser cette pratique, la législation a introduit des présomptions d’utilisation conforme des frais. Concrètement, certaines indemnités forfaitaires, comme les indemnités de repas, de grand déplacement ou de télétravail, seront présumées utilisées conformément à leur objet dès lors qu’elles respectent les montants et conditions fixés par la réglementation.

Il s’agit toutefois d’une présomption simple : elle peut être contestée par l’URSSAF si l’employeur ne parvient pas à démontrer le caractère strictement professionnel des sommes versées [11]. Absence de justificatif ne veut donc pas dire absence de justifications. Le critère d’effectivité de la dépense reposera ainsi sur une « tolérance », mais la jurisprudence rappelle que, même en cas d’allocation forfaitaire, l’employeur doit être en mesure de justifier que les frais indemnisés correspondent bien à une dépense professionnelle. Ainsi, dans une affaire où une société versait des indemnités kilométriques à ses salariés, l’URSSAF avait procédé à un redressement au motif qu’aucun justificatif précis n’avait été produit quant aux kilomètres réellement parcourus dans le cadre de l’activité professionnelle. Et bien que l’existence de déplacements ait été reconnue, l’absence de documents détaillant les trajets (noms des clients, adresses, distances exactes) a conduit au rejet de l’exonération des allocations forfaitaires [12].

Cet exemple met en évidence la distinction essentielle entre la présomption d’utilisation professionnelle des indemnités forfaitaires et l’obligation de prouver leur quantum. En d’autres termes, l’indemnisation forfaitaire des frais professionnels bénéficie d’une tolérance dès lors qu’elle respecte les plafonds réglementaires, mais elle ne dispense pas l’employeur d’apporter des éléments concrets permettant d’attester de la réalité des dépenses couvertes. À défaut, l’URSSAF peut requalifier ces sommes en avantage en nature et procéder à un redressement.

En définitive, le choix entre remboursement au réel et remboursement forfaitaire repose sur l’appréciation de plusieurs critères, sur la législation applicable et parfois même, sur les conventions collectives ou accords de branche qui imposent des modalités spécifiques d’indemnisation des frais professionnels [13].

Dans tous les cas, l’employeur devra veiller à communiquer clairement aux salariés les règles applicables, afin d’éviter toute ambiguïté et garantir une transparence totale. Il est en effet essentiel de bien cerner les contours et les implications des politiques de remboursement, puisque lorsqu’elles sont comprises et acceptées par les collaborateurs, il devient plus aisé pour l’entreprise de justifier la nature des dépenses professionnelles engagées.

Finalement, un frais professionnel est-il différent d’un avantage en nature ?

Oui, parce que les avantages en nature relèvent d’une logique bien distincte : ils consistent dans la fourniture ou la mise à disposition d’un bien ou service, permettant au salarié de faire l’économie de frais qu’il aurait dû normalement supporter. Ils constituent un « plus » que l’entreprise accordera à ses salariés, pour les gratifier de leur travail, de leur investissement, de leur fidélité, etc.

C’est pour cette raison que les avantages en nature sont considérés par la législation comme des compléments de salaire qui doivent être réintégrés à la rémunération et soumis à cotisations sociales [14].

L’évaluation pourra s’effectuer en fonction de la valeur réelle du bien ou en fonction d’un barème forfaitaire. L’arrêté du 10 décembre 2002 prévoit en effet un système de forfaits applicable à certains avantages en nature bien définis lorsqu’ils sont mis à disposition et qu’une utilisation personnelle est possible : la nourriture, le logement, le véhicule, les outils numériques (téléphone, ordinateur, abonnement Internet). Cette méthode permet d’appliquer un montant fixe, indépendamment du coût réel, facilitant ainsi le traitement comptable et social de ces avantages.

En revanche, lorsque l’avantage en nature ne rentre pas dans le cadre des forfaits réglementés, son évaluation doit obligatoirement être réalisée d’après sa valeur réelle. Cela signifie que l’économie concrète réalisée par le salarié, en bénéficiant de cet avantage, devient la référence pour déterminer la base de cotisation. Quelle que soit la méthode retenue, la traçabilité des avantages accordés restera donc essentielle : leurs valeurs devront figurer sur le bulletin de paie du salarié, pour leurs valeurs brutes. Ils seront par ailleurs soumis à l’impôt sur le revenu et devront être déclarés par les salariés.

Si les frais professionnels et les avantages en nature reposent sur des logiques distinctes, ils partagent néanmoins des points communs. En plus de représenter des avantages attractifs pour les collaborateurs, ils peuvent constituer de véritables leviers d’optimisation sociale pour l’entreprise.

Toutefois, leur qualification et leur gestion nécessitent une rigueur absolue : dans certains cas, les justificatifs classiques (tickets, reçus, journal de bord, etc.) ne suffisent pas à démontrer le caractère professionnel d’une dépense. Il devient alors essentiel d’appuyer la démonstration par une argumentation solide, construite dès la phase contradictoire du contrôle, afin de sécuriser ces dispositifs et d’éviter toute requalification.

Preuve, argumentation et contrôle : la nécessité d’anticiper la justification des dépenses professionnelles

L’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4373MHG impose à l’employeur de mettre à disposition de l’URSSAF tous documents et d’assurer l’accès à tout support d’information que les agents de contrôle jugeraient nécessaire pour mener leur mission.

À l’issue du contrôle, les inspecteurs adressent une lettre d’observations au représentant légal de la personne morale ou au travailleur indépendant. La réception de cette lettre marque le début de la période contradictoire, durant laquelle le cotisant dispose d’un délai de trente jours (prorogeable) pour formuler ses observations et fournir, le cas échéant, des pièces justificatives complémentaires.

La période contradictoire prend fin à la date d’envoi de la réponse de l’agent chargé du contrôle, lorsque le cotisant a répondu aux observations de l’URSSAF. L’argumentation et les justificatifs en faveur d’un frais professionnel ou d’un avantage en nature doivent-ils tous avoir été communiqués avant la clôture des opérations de contrôle ?

Assurément.

Dans un arrêt du 7 janvier 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirmait une jurisprudence bien établie :

Les pièces versées aux débats à hauteur d’appel par la société doivent être écartées dès lors que le contrôle est clos après la période contradictoire […] et que la société n’a pas, pendant cette période, apporté des éléments contraires aux constatations de l’inspecteur [15].

Cette impossibilité de produire des justificatifs a posteriori du contrôle apparaît à la fois sévère et disproportionnée. Toutes les entreprises ne disposent pas des moyens humains ou du temps nécessaire pour rassembler, dans un délai aussi court, l’ensemble des pièces utiles. Par ailleurs, une telle rigidité pourrait aller à l’encontre de l’esprit du débat contradictoire.

Il est important de rappeler que l’article 563 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6716H7U autorise, en appel, l’invocation de moyens nouveaux, ainsi que la production de nouvelles pièces ou preuves, pour justifier des prétentions soumises au premier juge. Cette contrainte renforce toutefois l’importance de la préparation en amont du contrôle URSSAF. Il ne s’agit pas seulement de conserver les justificatifs, mais aussi de pouvoir les présenter rapidement et surtout de manière argumentée.

Dans les cas où le redressement opéré par l’URSSAF est porté devant les juridictions sociales, l’analyse des juges du fond reposera sur une appréciation au cas par cas, en fonction des éléments de preuve et du contexte de chaque dossier. Tour d’horizon des jurisprudences mettant en lumière l’impérieuse nécessité d’anticiper et d’argumenter avec rigueur.

Citons d’abord les frais de repas lors d’un déplacement professionnel :

Par principe, un repas peut être considéré comme un frais professionnel lorsque les dépenses supplémentaires sont engagées par un salarié en déplacement pour son travail ou sur un chantier hors des locaux de l’entreprise et lorsque ses conditions de travail lui interdisent de regagner sa résidence [16].

Quid de l’achat d’un sandwich ou d’un repas pris à proximité de l’entreprise ?

En effet, lorsque le salarié achète ou prend son repas à proximité de son entreprise et que cette dépense est prise en charge par l’entreprise au titre de frais professionnels, l’URSSAF considérera (quasi systématiquement) que ce dernier :

  • n’est pas en situation de déplacement générant des dépenses supplémentaires de frais de repas ;
  • ou ne justifie pas de circonstances de fait particulières notamment des repas organisés à titre exceptionnel dans
  • l’intérêt de l’entreprise.

À ce titre, il ne peut pas être considéré comme un frais professionnel remboursable, sauf si des circonstances particulières justifient cette dépense… Alors que dire et que faire ?

La seule indication de l’identité des clients et des prospects invités, bien que nécessaire, ne permet pas à elle seule de justifier la nécessité de la prise en charge des frais de repas, celle-ci devant être accompagnée de l’identification de la structure qu’ils représentent [17].

De même que : le seul fait que le salarié réside loin du siège de l’entreprise ne justifie pas que ses frais de repas soient exonérés des cotisations de sécurité sociale, dès lors qu’il n’est pas en situation de déplacement générant des dépenses supplémentaires de frais de repas [18]. Et la société ne peut pas plus se contenter d’invoquer la nature de l’activité de ses salariés, elle doit :

Justifier de dépenses supplémentaires engagées par les salariés du fait de l’exercice de leur activité. [À ce titre] La société qui verse des relevés sur lesquels figurent des dates, des temps de travail journaliers et le montant de l’allocation […] ne permettent pas de déterminer que les salariés étaient en déplacement professionnel au moment du repas et que les circonstances de fait ont entraîné des dépenses supplémentaires de nourriture [19].

Si l’URSSAF (et par extension les juridictions au vu des cas présentés) applique une réglementation stricte en matière de frais professionnels et d’avantages en nature, il est légitime de s’interroger sur leur capacité à prendre en compte la réalité quotidienne des entreprises et de leurs salariés.

Cette approche rigide est-elle réellement adaptée aux contraintes du monde du travail ?

En effet, un salarié, contraint d’acheter un sandwich près de son entreprise et qui part rejoindre un chantier, ne le fait pas nécessairement par convenance, mais souvent par pragmatisme. Pression du temps, contraintes de service, horaires décalés, impossibilité de se déplacer sur une pause déjeuner trop courte… Autant de situations qui amènent un salarié à faire un choix dicté par la nécessité plutôt que par le confort. Mais encore faut-il pouvoir le prouver. Et justement, l’URSSAF, en appliquant un raisonnement purement comptable, considère régulièrement ce repas comme une dépense personnelle, ignorant ainsi les contraintes opérationnelles qui s’imposent aux travailleurs. Il faudra alors tant bien que mal s’en remettre à la sagesse du tribunal qui sera seul compétent pour analyser le contexte et surtout les circonstances du repas.

Tel a notamment été le cas pour cette société qui expliquait que, compte tenu des temps de trajet en région parisienne, et alors que l’URSSAF ne contestait pas en elle-même la liste des salariés concernés, il était juste de considérer qu’ils devaient bénéficier d’indemnités repas [20].

Fort heureusement, si la jurisprudence est un facteur influençant l’interprétation des règles en matière de frais professionnels et d’avantages en nature, elle n’est pas le seul. Le législateur adapte également les textes en fonction des circonstances économiques et sociales. L’exemple récent de la question posée par Mme Danielle BRULEBOIS au ministre de l’Économie illustre parfaitement cette évolution [21]. Elle attire justement l’attention sur la prise en charge des repas des salariés de chantier dans le secteur du bâtiment, un domaine où la situation particulière des ouvriers travaillant sur des sites temporaires et variables rend difficile l’application stricte des règles en matière d’indemnités de repas.

Cette mise en lumière du décalage entre la réalité du terrain et l’interprétation stricte des textes montre que le droit social n’est pas figé et peut évoluer en fonction des pratiques professionnelles et des contraintes économiques. Les indemnités de grand déplacement en sont encore un parfait exemple :

En principe, un salarié empêché de regagner chaque jour sa résidence du fait de ses conditions de travail peut percevoir des allocations forfaitaires destinées à compenser ses dépenses supplémentaires de logement et de nourriture. Ce travailleur sera donc « présumé » empêché de regagner sa résidence lorsque deux conditions seront remplies : la distance séparant le lieu de résidence du lieu de déplacement sera au moins égale à 50 kilomètres (trajet aller ou retour) ; et les transports en commun ne permettront pas de parcourir cette distance dans un temps inférieur à une heure trente (trajet aller ou retour).

Pourtant, il a déjà été jugé que même si les critères de distance et de durée du trajet étaient remplis, l’exonération pouvait ne pas s’appliquer puisqu’il appartenait à :

La société de justifier de l’engagement effectif par ses salariés de frais supplémentaires liés à leur mission pour bénéficier du jeu de la présomption, […] que les attestations des salariés qui témoignent que les indemnités de grand déplacement versées par leur employeur leur servaient à régler leurs dépenses supplémentaires, n’étaient pas étayées par la production de factures d’hôtel ou de factures de repas, de telle sorte qu’il n’était pas justifié de l’engagement effectif par les salariés de frais supplémentaires liés à leurs déplacements [22].

Disons-le franchement, en l’absence de critères strictement définis et appliqués de manière homogène, les entreprises se retrouvent face à une incertitude constante : une dépense acceptée dans un dossier peut être rejetée dans un autre, selon l’interprétation des inspecteurs de l’URSSAF ou des juges du fond. Heureusement, le pragmatisme l’emporte parfois sur la rigidité des interprétations.

Et récemment, par plusieurs arrêts rendus le 22 septembre 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a apporté une évolution notable en matière probatoire sur l’évaluation de l’avantage en nature résultant de la mise à disposition d’un véhicule. Il était de jurisprudence constante, que la seule déclaration des salariés ne suffisait pas à établir que les montants versés correspondaient uniquement à des trajets professionnels : au cas d’espèce, l’URSSAF avait redressé une société sur la base de deux chefs de redressement : l’un afférent notamment aux avantages en nature véhicule. L’URSSAF fondait son redressement sur l’absence de preuve, par la société, du caractère exclusivement professionnel des kilomètres et des dépenses. Le raisonnement était d’ailleurs validé par la cour d’appel qui relevait que l’entreprise, bien que se prévalant des déclarations des salariés concernés, ne démontrait pas avec précision, salarié par salarié, le détail des trajets professionnels réalisés par ceux-ci, et que donc elle ne démontrait pas que les montants versés couvraient exclusivement des kilomètres professionnels.

Ce que la Cour de cassation a décidé de censurer en indiquant que de tels motifs sont « insuffisants à caractériser, dans son principe et dans son montant », l’avantage en nature litigieux [23]. Cette décision constitue donc un assouplissement majeur en faveur des entreprises, en leur accordant le bénéfice du doute lorsque des attestations de salariés sont fournies en guise de justificatifs. Il conviendra toutefois d’être prudent quant à l’évolution de cette position qui sera mise en œuvre par les juges du fond dans le cadre des contentieux futurs. En définitive, la distinction entre frais professionnels et avantages en nature n’est pas qu’une question de conformité administrative, c’est aussi un enjeu stratégique pour les entreprises. Bien gérer ces dispositifs, c’est optimiser ses charges sociales, préserver ses marges et éviter des redressements coûteux. Mais face à une réglementation évolutive et à une appréciation souvent subjective des inspecteurs, la prudence est de mise.

Au-delà du respect des règles, c’est une véritable culture de la justification que les entreprises doivent développer. Ne plus seulement voir le contrôle URSSAF comme une contrainte, mais comme un exercice d’anticipation et de structuration, où chaque dépense doit être pensée, documentée et défendue avec cohérence.

Et demain ? L’essor du travail hybride, de la mobilité professionnelle et des nouvelles formes d’organisation du travail pose de nouvelles questions : comment adapter les critères d’exonération aux évolutions du monde du travail ?

Autant d’enjeux qui appelleront, sans doute, des ajustements réglementaires et jurisprudentiels dans les années à venir…

[1] Lorsque le travailleur utilise ses propres outils et supporte lui-même les frais liés à son activité, la relation s’apparente davantage à une collaboration indépendante relevant d’une prestation de services.
[2] Cass. soc., 25 février 1998, n° 95-44.096 N° Lexbase : A7687WSI ; Cass. soc., 25 mars 2010, n° 08-43.156, F-P
N° Lexbase : A1524EUY ; Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-26.585, FS-B+P N° Lexbase : A1172IZG ; Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-24.546, F-D N° Lexbase : A12183RK.
[3] Arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale, art. 1er ; CSS, art. L. 136-1-1 N° Lexbase : L6489ME3.
[4] Selon les articles L. 242-1 N° Lexbase : L6153M8E et L. 136-1-1 N° Lexbase : L6150M8B du Code de la Sécurité sociale, sont qualifiées de rémunérations soumises à cotisations, toutes les sommes versées aux travailleurs, en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires, primes et tous autres avantages en argent ou en nature.
[5] Cass. soc., 20 mai 1976, n° 75-40.615, publié N° Lexbase : A2664CII.
[6] Arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, art. 2 N° Lexbase : L0419A9E.
[7] En réalité trois, mais l’une d’entre elle concerne les professions prévues à l’article 5 de l’annexe IV du Code général des impôts, permettant d’intégrer une part de la rémunération comme représentative des frais engagés (DFS).
[8] Cass. soc., 5 février 1998, n° 96-15.375, publié N° Lexbase : A2731AC7 ; Cass. civ. 2, 21 février 2008, n° 07-12.230, FSP+B N° Lexbase : A0651D7A ; Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 20-15.602, F-D N° Lexbase A51487DZ.
[9] Cass. civ. 2, 2 février 1962, publié [en ligne].
[10] Cass. soc., 17 octobre 1991, n° 89-14.969 N° Lexbase : A2040AGN.
[11] CA Paris, 6-12, 18 janvier 2018, 14/05055 N° Lexbase : A7035XAS.
[12] Cass. civ. 2, 9 septembre 2019, n° 18-12.179, F-D N° Lexbase : A3109ZPT.
[13] Il est admis qu’il est d’usage dans la profession que les chauffeurs routiers en situation de grand déplacement engagent des frais supplémentaires de nourriture et d’hébergement. La présence d’une couchette dans le véhicule d’un chauffeur routier n’est pas susceptible de remettre en cause la présomption de l’utilisation conforme de l’indemnité d’hébergement.
[14] Arrêté du 10 décembre 2002, relatif à l’évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de Sécurité sociale.
[15] Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-19.395, F-D N° Lexbase : A88374BW.
[16] De même, lorsque l’employeur est en mesure d’établir que le travailleur salarié ou assimilé est contraint de prendre une restauration sur son lieu effectif de travail, en raison de conditions particulières d’organisation ou d’horaires de travail (travail en équipe, le travail posté, le travail continu, le travail en horaire décalé et le travail de nuit)
[17] CA Colmar, 18 novembre 2021, n° 18/02676 N° Lexbase : A36267CB.
[18] CA Angers, 27 juin 2024, n° 22/00270 N° Lexbase : A18165NL.
[19] CA Rennes, 20 mars 2019, n° 17/03013 N° Lexbase : A4355Y43.
[20] CA Versailles, 12 décembre 2019, n° 18/01147 N° Lexbase : A9519Z7P
[21] Question au Gouvernement n° 3081, 14 janvier 2025 [en ligne].
[22] Cass. civ. 2, 13 octobre 2022, n° 21-14.031, F-D N° Lexbase : A84138PB.
[23] Cass. civ. 2, 22 septembre 2022, n° 21-10.760 N° Lexbase : A87388KT à 21-10.762 N° Lexbase : A86938K8,F-D.