Avant de devenir Directeur des Ressources Humaines adjoint, tu as suivi un parcours aussi exigeant qu’atypique en tant qu’enseignant et chercheur en droit constitutionnel. Qu’est-ce qui t’a poussé à opérer la transition vers un poste de DRH ?
Je vais peut-être te surprendre mais cette transition vers les ressources humaines s’est faite un peu par hasard. Ce qui m’a attiré, ce n’était pas les ressources humaines en tant que telles, mais plutôt l’opportunité de m’engager dans du management après des années de travail en solitaire dans la recherche.
L’occasion s’est présentée avec un poste de Chef de Service Formation au sein du Conseil général de la Vendée, où mes compétences juridiques étaient les bienvenues. C’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas en RH. Une fois un pied dans ce domaine, j’ai pu évoluer vers d’autres missions : dialogue social, gestion des masses salariales, accompagnement managérial, recrutement, entre autres. En somme, mon entrée dans les ressources humaines ne s’est pas faite par vocation, mais bien grâce à une opportunité que j’ai saisie.
Quelles compétences spécifiques, acquises au cours de tes années de recherche doctorale et d’enseignement, t’ont été les plus utiles dans ton rôle de Directeur des Ressources Humaines ?
Il y a, en toile de fond de ta question, une vraie réflexion sur l’utilité du doctorat dans le monde professionnel. Je vais faire une petite parenthèse à ce sujet, car il soulève un enjeu important. Pour moi, le doctorat est une formation d’excellence, tant intellectuellement qu’humainement, mais il reste peu valorisé en dehors du monde universitaire. L’image du « thésard » reste souvent celle du « rat de bibliothèque ». Les docteurs eux-mêmes en portent d’ailleurs une part de responsabilité : il leur manque parfois les codes pour valoriser les compétences qu’ils acquièrent au cours de cette expérience intense que constitue une thèse.
La première compétence qui me vient à l’esprit est la gestion et le rapport au temps. Faire une thèse, c’est un projet de longue haleine : cela peut prendre trois, cinq, voire dix ans, et cette durée implique de savoir avancer sans viser l’immédiateté. Dans le monde professionnel, surtout dans les RH, c’est un véritable atout, car il est souvent plus efficace de temporiser, d’objectiver les situations, que de réagir dans l’instant. Ce rapport au temps, loin d’être une faiblesse, permet de prendre du recul et de faire preuve de discernement.
Ensuite, maîtriser un sujet complexe m’a appris à être pédagogue et synthétique, contrairement aux idées reçues. Un doctorant qui connaît son sujet en profondeur développe naturellement un esprit de synthèse et sait transmettre des idées avec clarté.
En parallèle, le doctorat exige à mon sens de l’autonomie et une forte capacité de travail. Par exemple, je voyais mon directeur de thèse quatre fois par an, pour quelques heures : le reste du temps, je devais avancer seul. Cette autonomie et cette persévérance, acquises pendant ma thèse, sont devenues des qualités précieuses dans mes responsabilités actuelles.
L’autonomie et la persévérance, acquises pendant ma thèse, sont devenues des qualités précieuses dans mes responsabilités actuelles.
Enfin, il y a la dimension humaine et psychologique du doctorat. Rédiger une thèse est un exercice exigeant, marqué par un taux d’abandon élevé. Aller au bout de ce processus forge une certaine solidité psychologique, et développe des qualités telles que l’humilité, la persévérance, la gestion du stress, et la capacité à rebondir face aux échecs. Ces qualités, acquises durant la thèse, sont aujourd’hui très présentes dans mon travail de DRH.
Quelles étapes concrètes as-tu suivies pour faciliter ta transition de l’enseignement supérieur à la gestion des ressources humaines ? Y a-t-il des projets ou des expériences particulières qui t’ont marquées lors de cette transition ?
Malgré les apparences, il y a une certaine logique dans mon parcours, qui s’articule autour de trois grandes étapes. La première, c’est ma thèse en droit constitutionnel, avec en parallèle des charges d’enseignements qui m’ont poussées à explorer d’autres champs du droit public : droit administratif, droit des collectivités territoriales, droit de la fonction publique et droit des marchés publics. Tout cela a naturellement orienté mes choix vers une carrière au sein d’une collectivité territoriale, une administration certes différente de l’université, mais où mes compétences juridiques étaient pleinement exploitées. J’ai donc rejoint ce monde administratif, où j’ai exercé comme juriste peu après ma soutenance.
La seconde étape de ma transition a eu lieu quatre ans plus tard, lorsque je suis passé de la direction juridique à la direction des ressources humaines, en prenant la responsabilité du service de formation. Ce poste impliquait une forte dimension de gestion des marchés publics : établir des cahiers des charges ainsi qu’analyser les offres avec rigueur et transparence. Le fait d’être dans le cadre d’une mobilité interne a rendu cette évolution plus naturelle, en facilitant la transition d’un rôle purement juridique vers une fonction en ressources humaines.
La troisième étape, qui peut paraître plus classique, s’est déroulée au fil de mon parcours RH, avec des changements de collectivités, du Conseil général à la Région, et d’autres évolutions de poste.
Ce qui m’a véritablement marqué dans cette transition, c’est l’importance de la dimension humaine en RH, un aspect que j’avais probablement sous-estimé au départ. Dans le travail académique ou juridique, nos écrits et nos analyses n’ont pas une influence directe sur les personnes. En RH, en revanche, chaque décision peut avoir un impact humain fort. Je me souviens, par exemple, de mes débuts en tant que chef de service RH, où une cheffe de service expérimentée est venue dans mon bureau et s’est mise à pleurer pour un motif dont je ne garde plus le souvenir exact. À l’époque, je ne savais pas du tout comment gérer cela. Aujourd’hui, je saurais mieux y faire face.
Ce qui m’a véritablement marqué dans cette transition, c’est l’importance de la dimension humaine en RH, un aspect que j’avais probablement sous-estimé au départ.
Cette expérience m’a fait comprendre qu’en RH, il y a deux écueils : tomber dans l’affect, ce qui bloque les décisions, ou, au contraire, se détacher au point d’en oublier l’impact humain. Il faut trouver un équilibre subtil entre rester imperturbable et agir avec humanité.
En tant que DRH adjoint, tu dois maîtriser divers aspects généralistes du métier RH. Comment as-tu abordé cet apprentissage, et quelles ressources ou formations t’ont été particulièrement utiles dans cette démarche ?
J’ai abordé cet apprentissage avec enthousiasme, car je suis naturellement curieux et avide d’apprendre, même si le temps manque parfois pour approfondir autant que je le voudrais. Dans mon rôle actuel, je distingue deux grands volets de compétences : les compétences managériales et les compétences techniques RH.
Sur le plan managérial, je crois fermement à la formation par l’exemple et le contre-exemple, car chaque expérience professionnelle, positive ou non, est une source d’apprentissage. Cependant, cela ne suffit pas : suivre des formations structurées en management est essentiel, car ce n’est pas qu’une question de « bon sens ». Je privilégie les formations ancrées dans le réel et parfois liées à des disciplines comme la psychologie, qui apportent une hauteur de vue tout en restant pratiques et opérationnelles.
Je privilégie les formations ancrées dans le réel et parfois liées à des disciplines comme la psychologie, qui apportent une hauteur de vue tout en restant pratiques et opérationnelles.
Ensuite, il y a les compétences techniques RH, notamment en droit de la fonction publique, mon domaine de prédilection, qui exige une mise à jour constante. De plus, des compétences en conduite du changement et en gestion de projet sont essentielles, pour lesquelles j’ai suivi plusieurs formations. J’accorde aussi une grande importance à l’autoformation, en tirant des enseignements de chaque succès et de chaque échec, ainsi que des échanges réguliers avec des pairs, au sein et en dehors de notre collectivité.
Enfin, je veille à me tenir informé des tendances RH et des innovations, notamment par la lecture. Mon poste d’enseignant en management et RH à l’Université Catholique de l’Ouest me permet d’ailleurs de rester à jour et d’entretenir mes connaissances tout en nourrissant ma réflexion.
Avec près de huit ans d’expérience au sein du Conseil Régional des Pays de la Loire, quels indicateurs utilises-tu pour mesurer la réussite de ton changement de carrière ?
Je ne suis probablement pas le mieux placé pour évaluer moi-même cette réussite, car nous avons souvent tendance à être soit trop critiques, soit trop indulgents envers nous-mêmes. Les meilleurs juges sont, je pense, ceux avec qui je travaille au quotidien.
Pour mes supérieurs, j’espère incarner la loyauté et la fiabilité, et m’inscrire dans l’esprit de cette phrase qu’on a dite à un de mes collègues : « Ton job, c’est de résoudre les problèmes, pas de les faire remonter. » Mon rôle en tant qu’aide à la décision est d’apporter des solutions concrètes et utiles.
Pour mes collaborateurs, j’aimerais être perçu comme un manager solide sur lequel ils peuvent compter, quelqu’un qui les fait progresser tout en sachant faire preuve d’autorité et de décision.
Enfin, pour les « clients » internes, comme les managers et les partenaires syndicaux, mon objectif est qu’ils apprécient mon « parler vrai » et ma capacité à apporter une vision claire, toujours guidée par l’intérêt général, qui reste une valeur essentielle à mes yeux.
D’après ton expérience personnelle, quelles erreurs ou difficultés serait-il important d’éviter pour réussir une transition de carrière aussi marquée que la tienne ?
La première qualité à cultiver dans un nouvel environnement est l’humilité : observer, écouter, et éviter de donner des leçons. Chaque domaine a ses propres codes, et prendre le temps de les comprendre est essentiel pour s’y adapter efficacement.
En RH, et particulièrement dans les postes à responsabilités, une erreur fréquente est de délaisser l’aspect opérationnel pour se concentrer uniquement sur la stratégie ou les grands projets, souvent perçus comme plus gratifiants. Pourtant, pour appréhender pleinement les enjeux RH, il est crucial de rester ancré dans la réalité opérationnelle.
En tant qu’ancien doctorant, quel conseil donnerais-tu à un enseignant ou chercheur qui envisagerait de se réorienter vers un poste dans les ressources humaines ?
Avant toute chose, changer de carrière implique de sortir de sa zone de confort, un défi d’autant plus grand quand on évolue dans le même milieu universitaire depuis généralement l’âge de 18 ans. L’université reste un lieu d’excellence académique et, même si je ne pense pas que sa mission principale soit l’insertion professionnelle, puisque c’est avant tout un haut lieu du savoir, je regrette qu’il n’existe pas davantage de passerelles avec les autres milieux professionnels, comme on en voit dans certains pays, en Allemagne par exemple.
Mon conseil serait de ne pas hésiter à franchir le pas. Un docteur a souvent bien plus de compétences transférables qu’il ne le pense, et cette polyvalence est un atout précieux pour réussir dans des domaines comme les ressources humaines.
Pour conclure, qu’est-ce que tu apprécies le plus dans ton rôle actuel de DRH ? Et comment vois-tu l’évolution de ce métier dans les années à venir, particulièrement dans le secteur public ?
Ce que j’apprécie avant tout, c’est cet équilibre entre l’aspect opérationnel du poste, avec des situations très concrètes, et la dimension stratégique qui implique un travail à moyen terme, notamment sur des projets de transformation. Cette dualité me convient bien, d’autant qu’elle offre un rythme qui mêle urgence et vision.
À l’avenir, le rôle du DRH devra évoluer face à plusieurs défis : transformation des métiers, intelligence artificielle, digitalisation, usure professionnelle liée à l’allongement des carrières… Ces tendances pousseront les RH à se tourner davantage vers l’accompagnement humain, et c’est une excellente chose, tandis que la gestion sera en grande partie automatisée.
Ces tendances pousseront les RH à se tourner davantage vers l’accompagnement humain, et c’est une excellente chose, tandis que la gestion sera en grande partie automatisée.
Dans le secteur public, l’évolution est complexe. Le statut de la fonction publique, bien qu’en mouvement, reste parfois inadapté aux besoins de transformations actuelles. Enfin, l’attractivité du secteur est un enjeu croissant. Ces défis représentent une opportunité pour repenser le métier et mieux répondre à notre mission première : servir l’intérêt général.