Accidents du travail : sécuriser la déclaration et maîtriser les enjeux de responsabilité

  • Veille juridique
  • Majorelle Avocats
Chaque accident du travail déclenche une mécanique réglementaire précise dont la maîtrise est essentielle pour toute entreprise. Entre obligations de déclaration, risques de requalification, hausse des cotisations et menace de faute inexcusable, les enjeux sont considérables pour les employeurs. Cet article propose une synthèse des étapes clés de la procédure d’AT et des leviers à activer pour protéger efficacement l’entreprise tout en respectant les droits des salariés.

I. Comprendre l’accident du travail : une qualification juridique à fort enjeu 

L’accident du travail (AT) est défini par l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale comme un accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, quelle qu’en soit la cause. Deux conditions sont nécessaires pour qu’un fait soit reconnu comme tel : 

  • un événement soudain et daté
  • ayant causé une lésion physique ou psychologique

Lorsqu’un salarié est victime d’un accident dans le cadre de son activité, il bénéficie d’une présomption d’imputabilité : si l’accident est survenu alors qu’il agissait sous l’autorité de l’employeur, le lien entre travail et accident est présumé établi. Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable : l’employeur peut la contester s’il établit une cause étrangère au travail. 

À retenir : la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ouvre droit à des prestations spécifiques (prise en charge à 100 %, indemnités journalières, majoration de rente en cas de faute inexcusable), mais peut aussi entraîner une majoration du taux de cotisation AT/MP selon l’effectif de l’entreprise et des mises en cause lourdes pour l’entreprise. 

II. Déclaration d’un accident du travail : un formalisme strict à respecter 

Ce que doit faire le salarié

Le salarié victime d’un accident du travail doit informer son employeur dans un délai de 24 heures, en précisant le lieu, la date et les circonstances de l’accident. Cette information peut se faire par tout moyen (écrit, oral, email…). 

Ce que doit faire l’employeur 

L’employeur dispose ensuite de 48 heures (hors dimanches et jours fériés) pour : 

  • déclarer l’accident sur le site net-entreprises.fr ; 
  • remettre au salarié une feuille de soins pour qu’il bénéficie de la gratuité des soins ; 
  • transmettre une attestation de salaire à la CPAM, nécessaire au calcul des indemnités journalières. 

En cas d’accident grave, le CSE doit être informé.  

En cas d’accident mortel, l’inspection du travail doit être alertée dans un délai de 12 heures

III. Contester un accident du travail : le rôle stratégique des réserves motivées 

L’employeur peut contester le caractère professionnel de l’accident en formulant des réserves motivées dans les 10 jours francs suivant la déclaration d’accident du travail. 

Des réserves motivées 

Ces réserves doivent : 

  • mettre en doute l’existence d’un fait accidentel (ex. : récit imprécis, absence de témoin) ; 
  • ou questionner le lien avec le travail (ex. : activité étrangère à la mission, lieu non professionnel, comportement personnel) ; 
  • ou encore invoquer une cause étrangère au travail

Attention : des réserves non motivées ou trop vagues n’ont aucun effet. En leur absence, la CPAM peut instruire le dossier sans investigation et reconnaître l’accident, sans que l’employeur puisse ensuite invoquer un défaut de contradictoire

Nos recommandations pour s’assurer de la pertinence des réserves formulées

  • confier la déclaration à une personne de l’entreprise formée aux enjeux et à ses conséquences ; 
  • rechercher les témoins et recueillir leurs témoignages par écrit ;  
  • se faire assister par un Conseil pour les cas les plus complexes ou tendancieux. 

IV. Enquête de la CPAM : une phase à ne pas subi

Si des réserves motivées ont été émises (ou si la CPAM le décide d’office), une phase d’instruction de 70 jours est ouverte. Elle inclut : 

  • l’envoi d’un questionnaire à l’employeur et à la victime ; 
  • la possibilité de mandater un enquêteur ; 
  • la consultation du dossier complet par les parties (déclaration AT, certificats médicaux, témoignages, rapports). 

A l’issue de la phase d’investigation, l’employeur a 10 jours pour formuler des observations sur le dossier déposé par l’agent enquêteur. Il est vivement recommandé de participer activement à cette phase : toute passivité peut jouer contre l’entreprise en cas de contentieux. Il est donc impératif de répondre avec diligence au questionnaire adressé par la CPAM. 

V. Décision de la CPAM : comment la contester ? 

La décision de la CPAM est notifiée à l’employeur par tout moyen. Elle devient définitive au bout de deux mois, sauf contestation. 

Les motifs de contestation 

Les motifs de contestation peuvent porter sur : 

  • le non-respect du contradictoire
  • l’absence de preuve d’un fait accidentel
  • une lésion non imputable au travail
  • l’absence de date certaine
  • ou encore l’absence de subordination au moment de l’accident. 

La procédure de contestation 

  1. Saisine de la Commission de recours amiable (CRA) de la CPAM dans un délai de 2 mois. 
  2. Décision de la CRA sous 2 mois (silence = rejet implicite). 
  3. Saisine du Pôle social du Tribunal judiciaire si la décision de la CRA est défavorable, dans un nouveau délai de 2 mois. 

VI. Faute inexcusable de l’employeur : un risque majeur en cas d’accident

L’accident du travail peut engager la responsabilité civile et pénale de l’employeur s’il est démontré une faute inexcusable

La juridiction compétente est le Pôle social du Tribunal judiciaire. 

3 conditions cumulatives à remplir :

  1. un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur ; 
  2. la conscience du danger
  3. l’absence de mesures de prévention adéquates

Les conséquences

  • une majoration de la rente versée par la CPAM ; 
  • une indemnisation complémentaire des préjudices subis par le salarié (souffrances endurées, préjudice esthétique, d’agrément…) ; 
  • une action en récupération de la CPAM contre l’employeur (sous forme de capital). 

Ce risque renforce l’intérêt de documenter soigneusement la politique de prévention, les évaluations des risques et les actions mises en œuvre

VII. Situations particulières : rechute, intérimaire, accident mortel 

Certaines situations sortent du cadre classique de l’accident du travail et appellent une vigilance renforcée.  

Rechute après consolidation, accident d’un salarié intérimaire ou survenue d’un accident mortel : chacune de ces hypothèses implique des obligations spécifiques, souvent sous délais très courts, et peut exposer l’entreprise à des enjeux humains, juridiques et médiatiques majeurs. Il est donc crucial d’en connaître les mécanismes pour agir rapidement et en conformité. 

Rechute

Une rechute est une aggravation survenue après consolidation, nécessitant un nouveau traitement médical. Elle doit être déclarée par la victime à la CPAM avec certificat médical. L’employeur peut émettre des réserves motivées dans un délai de 10 jours francs

Intérimaire

En cas d’accident d’un salarié intérimaire, l’entreprise utilisatrice doit : 

  • remplir un formulaire Cerfa spécifique dans les 24h (Cerfa 60-3741 ), 
  • transmettre les documents à l’agence d’intérim, à la CARSAT et à l’inspection du travail. 

L’agence procède ensuite à la déclaration d’accident du travail dans les 48 heures. 

Accident mortel

En cas d’accident du travail mortel, une série d’actions immédiates s’impose : 

  • sécurisation du lieu, alerte des secours ; 
  • informations rapides aux autorités (inspection du travail et ingénieur CARSAT), à la famille, au CSE ; 
  • désignation d’un porte-parole, ouverture d’un journal de bord ; 
  • déclaration à la CPAM sous 48 heures. 

Une cellule d’aide psychologique pourra également être utilement mise en place. 

VIII. En résumé : anticiper et sécuriser chaque étape d’un accident du travail est primordial 

La gestion d’un accident du travail ne peut se limiter à une démarche administrative : elle doit faire l’objet d’une réflexion stratégique, tant sur le plan du droit social que de la gestion des risques. Déclaration d’accident du travail, formulation de réserves, échanges avec la CPAM, et potentielle mise en cause pour faute inexcusable sont autant de points critiques. 

Il est également essentiel de procéder à une analyse approfondie des causes de l’accident afin d’en tirer toute leçon utile pour l’avenir. 

La clé pour l’employeur ? Être réactif, rigoureux, et s’entourer de conseils aguerris pour limiter les risques financiers, sociaux et juridiques.